Un homme effacé d’Alexandre Postel (Editions Gallimard)

 

Voici une bien belle fable très actuelle. Une horrible histoire qui donne des frissons tellement elle met en exergue les dérives de notre société avec ses traces informatiques indélébiles, ses jugements sans discernement, ses censeurs, ses experts psychiatres qui posent un diagnostic qui tombe comme un couperet. Continuer la lecture de « Un homme effacé d’Alexandre Postel (Editions Gallimard) »

Le journal d’une cuisinière


Aujourd’hui est un jour comme un autre. Un jour de stagnation. Les jours se succèdent comme des copeaux de vie qui se détachent.
       Pas de vent. La nature est muette, le soleil gronde.
     Derrière le talus à droite, les longues tiges de cosmos par leur mouvement lent rappellent qu’un souffle léger anime l’air. Le reste immobile sous le pin et au-delà fixe le soleil, abasourdi par ses rayons puissants. Les terres arides de Gibson, d’Atacama ou du Sahara, du même soleil crépitent.
     Le regard fixe, allongée sous la treille de vigne dix fois élaguée et toujours envahissante, Maude se languit. Ces vacances n’en finissent pas de s’étirer. A gauche la grille rouillée et imposante prolongée par le muret de pierres. A ses pieds, les vieux rosiers aux couleurs délavées sèment encore quelques rares pétales jaune pâle, le pistil ébouriffé. Les tiges des rosiers sont vigoureuses, vertes et robustes, bien plus fermes que jadis quand je les avais plantées il y a plus de vingt ans. Elles sont désormais plus hautes que le muret. Ces têtes nues sur un corps vigoureux ressemblent à des sentinelles, des sentinelles chauves, comme si une rafale de vent les avaient soudain dénudées. Ce n’est qu’une impression car il n’y a pas de vent, quelques pissenlits vibrent le plus calmement possible dans l’herbe ; une lumière étincelante enveloppe la cime des rosiers, comme si d’un coup de baguette magique l’air avait traversé la haie avec vigueur. Continuer la lecture de « Le journal d’une cuisinière »

Dans ce jardin qu’on aimait de Pascal Quignard (Editions Grasset)

Un jardin est le plus beau des cadeaux que peut nous laisser un être cher, le plus vivant, la plus belle des consolations. Et puis il y a la musique, les oiseaux, l’eau qui s’écoule, le vent qui soulève les pèlerines. L’instant, le présent. Cette onde musicale qui parcourt les siècles, les années. En une seconde, elle submerge une oreille attentive. Seul le révérend Cheney a transcrit ces sons sous forme de partition, note par note. Le révérend Cheney est immortel. Heureusement que Pascal Quignard l’a sauvé de l’oubli.

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Puisque les hommes sont des sauvages

Le Pô, 1949,

Il y a les feuilles qui frétillent. Et l’eau qui stagne, se gondole légèrement et déforme les troncs infiniment hauts droits comme des I. Cette eau stagnante c’est le Pô. Vu d’en haut, depuis le Mont Viso, c’est une eau qui gonfle, se gorge de la rumeur du monde. 

Toute histoire peut commencer par un point de vue. A une source ou à une autre. Il est important de prendre le point le plus contesté pour dérouler le fil. Quelques-uns vous diront que Paolo était prospère, d’autres qu’il a bien profité des années fascistes, d’autres qu’il a le cul bordé de nouilles. Certains vous diront que la vie est malicieuse. 

Moi je crois que seul le Pô peut nous renseigner. Il s’écoule en cascade à la fonte des neiges, bondit sur les rochers, racle les parois, prend ce qu’il y a à prendre : fertilité et promesse de gloire ; se précipite et stagne quand la pente s’adoucit ; puis se mue en une eau calme pour un temps incertain. Parfois, il n’en peut plus de s’étaler sur ses alluvions et fonce sur une digue qui longtemps l’a brimé. Et cela donne des terres noyées, un propriétaire prospère qui l’a toujours regardé avec mépris et des métayers qui un jour n’ont plus rien : ni blé, ni maïs, ni riz. Juste des poissons en cascades, ce qui en soit n’est pas si mal pourvu que l’on ait les pieds au sec. Ce qui n’est pas mal du tout quand on sait qu’une fois que le propriétaire a déserté les lieux, pêchera qui voudra. Ni demande au régisseur ni permission. Plus besoin de rendre une part du butin. Parce qu’il faut toujours rendre une part du butin même si le poisson a été conçu à l’extérieur, s’est nourri chez le voisin et a complété son dernier repas – celui du condamné – avec les miettes de riz ou de polenta d’une ouvrière agricole qui lavait son linge. Ce serait comme si aujourd’hui on disait qu’il fallait payer l’air que l’on respire parce qu’il a transité par la forêt d’un propriétaire terrien ; ou pire, qu’il fallait le purifier parce qu’un industriel l’avait souillé. Ce serait impensable !

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Le Garçon de Marcus Malte (Editions Zulma)

 

J’ai une certaine fascination pour la première page. C’est un peu comme quand on est invité chez quelqu’un et que l’on évalue en arrivant dans le salon si l’accueil sera chaleureux, sincère, froid, apprêté ou singulier ; si l’on sera embarqué dans une aventure intime ou étrange, fantastique, dans une contrée lointaine, si l’on sera guidé dans l’aventure ou lâché au milieu d’une jungle, si la musique sera claire, douce, dissonante. Entraînante.
      Avec « Le Garçon » de Marcus Malte, j’ai été comblée. Il y a là dès les premiers mots une aventure que l’on a envie de découvrir ; aucune direction n’est claire ; seuls les cinq sens sont en éveil. Et pour cause : Le Garçon est l’histoire d’un enfant sauvage muet. Il a vécu jusqu’à la mort de sa mère au milieu des arbres dans le sud de la France. Alors qu’elle rend son dernier souffle, il emporte son corps au bord de ce qu’il croit, ce qu’elle croyait être la mer, mais qui n’est qu’un étang.

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Ce cœur changeant d’Agnès Desarthe (Editions de l’Olivier)

Ce roman commence par une merveilleuse première page où le ton est donné : Tout n’est que beauté, la vie est un combat. Prenez une fille sans amour ou si peu, et faites-lui traverser toutes les turbulences du début du vingtième siècle : l’affaire Dreyfus, la première guerre, la misère, les bas-fonds ; puis faites-lui vivre toutes les étapes d’une vie : la découverte de l’amour, des ruptures, des deuils. Vous aurez alors un récit d’apprentissage très original servi par une très belle écriture piquante et rythmée. Le choix de mots est surprenant et judicieux. Dans ce roman, on est loin des métaphores faciles et des associations de mots vues et revues. Vous serez tour à tour cajolé et brutalisé exactement comme l’héroïne Rose. Continuer la lecture de « Ce cœur changeant d’Agnès Desarthe (Editions de l’Olivier) »